Les amis de la bibliothèque

Remarquable roman que j’ai lu d’une traite tant il m’a captivé. Tout est dit avec une remarquable sobriété, et c’est d’autant plus percutant, sur la place du genre dans notre société. Est-ce daté ? Pas tant que ça si on cherche un peu ce qui est sous-jacent dans notre discours quotidien. L’une des critiques que j’ai consultée sur ce livre faisait état de "la pauvreté lexicale de notre langue pour définir une bonne moitié de l’humanité". En fait, il s’agit d’une apparence car si le seul mot "fille" sert à plusieurs fonctions ce n’est pas hasard. Dans nos têtes "fille" renvoie à "fille de" comme "fils de". Mais dans ce cas, à côté il y a garçon qui lui peut s’employer sans référence à une appartenance. Lexicalement c’est intéressant, c’est comme si une fille ne pouvait être qu’appartenue. D’autre part il existe tellement de mots dévalorisants pour tout ce qui touche au féminin que notre langue n’est pas si pauvre mais au contraire riche en pouvoir de dévalorisation et donc de domination pour les femmes.
Camille Laurens, l’air de rien, remet à jour tous ces processus de domination, tant et si bien qu’à chaque péripétie de la vie de Laurence, on se dit qu’elle exagère un peu. Puis vient l’instant de réflexion, les souvenirs remontent et pour moi qui suis de cette génération, je prends conscience que les choses sont bien ainsi qu'elle le raconte. Est-que ça change ? Oui sans doute dans le sens où les femmes maintenant sont devenues plus conscientes de leur oppression et qu’elles ne se laissent plus toujours embobiner par les discours machistes.
Cependant il en reste du chemin à parcourir… Il suffit de consulter les faits divers où l’on constate qu’une bonne part des violences sont en fait des violences aux femmes. Alors oui ce roman est non seulement une belle œuvre mais il est utile pour le combat contre le sexisme.
J’ai beaucoup aimé également la construction du livre avec l’alternance selon les chapitres du "tu" et du "je" : objectivation et intériorisation.

Fille puis Femme, pour une fois ce récit se passe chez nous, de 1960 à 2010 environ, en France près de Rouen.

Le début du livre est un peu ennuyeux, car il fait référence à tous les clichés concernant le statut de la femme.
Ce préambule est néanmoins nécessaire pour rentrer dans l'histoire de cette fille ...
Le destin de celle-ci ne laisse pas indifférent et chacune se retrouvera ici ou là dans le parcours de cette battante qui encaisse les coups puis se redresse et transmet le meilleur à ... sa fille.

Une prose déterminée et bien construite. Un récit en dents de scie, comme peut l'être la vie. Ce n'est ni pitoyable ni exceptionnel. La société s'est donné certaines normes pas toujours équitables.
Pour la parité Homme-Femme, ce serait bien de lire l'équivalent masculin.

Extraits :
Tu n'es pas seulement une fille, tu es encore une fille. (p. 17)

Si tu étais née en Inde ou en Chine, tu serais peut-être morte. À Rouen, tout va bien. On t'aime quand même.
Tu me diras que dans quelques régions du monde, c'est le contraire : au Mexique, chez les Zapotèques de Juchitan de Zaragoza, on fait de grandes fêtes quand naît une fille, car les femmes y sont les chefs de famille et lèguent leur nom à leurs enfants...