Les amis de la bibliothèque

Dans ce roman ce n'est pas l'intrigue qui m'a le plus intéressé, bien qu'elle soit assez originale et assez bien menée. Pour l'autrice il me semble que ce ne fut que prétexte à nous parler d'art et de peinture. À nous parler surtout du Douanier Rousseau, peintre essentiel pour comprendre la genèse de l'art contemporain.
Harada Maha nous fait bien comprendre que le génie ne se trouve pas dans la technique picturale aussi parfaite qu'elle puisse être mais dans la sensibilité au monde de l'artiste. Rousseau n'était certainement pas un technicien hors pair mais c'était un visionnaire. Il savait ce qu'il voulait peindre et représenter : sa façon de voir les choses et les gens, son monde intérieur.
On se moquait de lui mais qu'importe, cela ne l'affectait qu'à la marge. Un autre génie, Picasso, a su tout de suite déceler qu'il avait à faire à une sorte de prophète des temps nouveaux, un artiste qui ouvrait des perspectives jamais explorées.
C'est pourquoi nous sommes toujours troublé en regardant ses œuvres. Bien sûr il faut savoir regarder et cela s'apprend st surtout se cultive. Les gens n'ont jamais été autant dans les musées et les expositions mais paradoxalement ils n'ont jamais aussi peu regardé les œuvres. L'usage intensif du smartphone prouve assez que nous ne sommes plus dans la contemplation mais dans la comptabilité. Il s'agit plus d'archiver un souvenir que nous ne regarderons sans doute plus que de voir au sens propre du terme. Il faut se servir de son cerveau et bien sûr de son corps et de nos sens pour voir. Dans un musée nous ne sommes pas de passage dans un lieu, sinon à quoi bon, nous sommes face à quelque chose qui doit nous happer… ou pas d'ailleurs. Mais dans tous les cas il faut se mettre dans cette disponibilité pour pouvoir devenir captif de l’œuvre. *
C'est à cette réflexion sur l'art que nous invite ce roman. L'autrice aborde tous les sujets en rapport avec la position de l'art actuellement. Elle nous parle du marché de l'art, des collectionneurs, des grande institutions muséales, de la problématique des expositions, de celles qui sont censées faire date, etc. Un livre foisonnant donc et sans doute un peu trop court pour fouiller un si grand domaine. Mais reste que c'est une invite à voir les œuvres et pas seulement à disserter sur la peinture. La vérité se trouve au fond de l’œuvre, et là seulement, tout le reste n'est que support pour mieux regarder.

Citations :
"Après tout, qu'était-ce qu'un "bon tableau " ? Quel genre d'artiste pouvait-on qualifier de "bon peintre" ? Personne ne fut bientôt plus en mesure de le définir avec exactitude. Les "bons tableaux", dans tous les cas, n'étaient plus simplement ceux qui capturaient fidèlement sur la toile le sujet placé devant les yeux du peintre- personnage, nature morte, ou paysage. C'était davantage par sa sensibilité exacerbée et sa volonté de devancer son temps que Picasso se distinguait de ses contemporains."

"Pour connaître un peintre, il faut regarder ses tableaux. Se tenir devant eux des dizaines, des centaines d'heures. En ce sens, je crois bien que personne ne peut passer davantage de temps devant une peinture qu'un collectionneur. Conservateurs, chercheurs, critiques...pas un n'arrive à la cheville du collectionneur. Ah ! Mais...attends un peu. Il y a bien quelqu'un qui peut rester encore plus longtemps que lui devant une belle pièce. Et qui donc ? Mais le surveillant de musée , voyons !"